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Racisme, duperie et volte-face: l'étrange affaire Jussie Smollett
Une lettre anonyme, une célébrité, une mystérieuse agression, des rebondissements en cascade et un public en émoi: tous les ingrédients sont réunis pour un thriller digne de Sidney Lumet. Toutefois, bien qu’elle ressemble à s’y méprendre à une œuvre de fiction, l’affaire Jussie Smollett incarne à elle seule les tensions sociales et les maux cachés d’une Amérique aux prises avec ses vieux démons.
Tout commence le 22 janvier 2019 lorsque l’acteur afro-américain Jussie Smollett, 36 ans, qui joue dans la série à grand succès "Empire", reçoit une lettre suspecte à un studio de production à l’ouest de Chicago. La lettre était datée du 18 janvier et on y lisait, inscrites à l’encre rouge, les lettres MAGA, acronyme du célèbre slogan du président américain Donald Trump, "Make America Great Again".
Smollet et un producteur de la série se servent de gants pour ouvrir la lettre où ils découvrent une seule phrase traduisant une menace de mort explicite au langage raciste et homophobe, le tout assaisonné d’une poudre blanche qui sera jugée sans danger par la police.
Le 29 janvier, Smollett rapporte à la police de Chicago qu’il a été attaqué le jour-même, à 2h00 du matin, alors qu’il achetait un sandwich dans un restaurant. L’acteur, qui se rendait chez lui, aurait été attaqué par deux hommes en cagoules qui ont proféré des insultes racistes et homophobes en lui criant "c’est le pays des MAGA", avant de le tabasser et de lui enrouler une corde autour du cou.
Sur le champ, la police de Chicago s’est activée pour traquer les suspects, mobilisant une douzaine de détectives qui passeront au crible des centaines d’heures de vidéo surveillance, y compris un enregistrement de Smollett marchant au centre-ville, sans parvenir toutefois à trouver les images de l’agression.
Plusieurs figures politiques et médiatiques s'empressent pour apporter leur soutien à Smollett, à l’instar de la candidate à la primaire démocrate Kamala Harris, la célèbre animatrice de télé Ellen DeGeneres ou encore la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Tous avertissent contre la montée de la haine raciale et de la suprématie blanche sous la présidence de Trump.
Dans les jours qui suivirent, nombreux sur les réseaux sociaux commencent à émettre des doutes sur la version des faits rapportés par la victime présumée, le tout sur fond de tensions raciales dans une ville où 33% de la population est constituée d’Afro-américains. Ces doutes se transforment vite en suspicion lorsque la police révèle que Smollett a refusé de livrer aux enquêteurs son téléphone portable.
Face aux critiques, l'acteur décide de donner une interview à l’émission "Good Morning America", où il défend sa version des faits. Le jour-même, la police annonce avoir appréhendé deux suspects à l’aéroport international O’Hare alors qu’ils venaient de rentrer du Nigeria. L’un d'eux travaillait comme figurant dans "Empire".
L’affaire connaît un nouveau rebondissement 48 heures plus tard lorsque les deux suspects sont libérés sans condition. Puis, le 20 février, la police annonce à la surprise générale que Smollett a été inculpé pour trouble à l’ordre public pour avoir prétendu être victime d’une fausse attaque.
Entre-temps, la procureur générale de Cook County, Kim Foxx, s’est désistée de l’affaire, prétextant des "conversations avec la famille de Jussie Smollett à propos de l’incident". Le lendemain, l’acteur se rendit à la police de Chicago qui procéda à son arrestation.
Quelques heures plus tard, le Chef de la police de Chicago, Eddie Johnson, lui-même afro-américain, organise une conférence de presse surréaliste où il explique, aux côtés des enquêteurs, que Smollett a "mis en scène" sa fausse agression après que la lettre de menace qu’il a écrite lui-même n’eut pas réussi à susciter l’émoi qu’il espérait de la part des producteurs de la série, le tout dans le but d’accroître sa notoriété et son salaire.
M. Johnson a ensuite qualifié le comportement de Smollett de "méprisable", notant qu’il portait préjudice aux vraies victimes de la haine raciale. Les enquêteurs révélèrent aussi que les deux suspects appréhendés précédemment ont été payés par la fausse victime pour mettre en scène l’agression qui est censée avoir eu lieu durant l’une des nuits les plus glaciales de l’année à Chicago, où la température frôlait les -17 °C.
Après ces révélations explosives, Smollett, qui a été libéré sous caution, fut écarté du tournage du dernier épisode de la saison 5 d’Empire, avant d’être inculpé par un grand jury pour 16 chefs d’accusation pour avoir menti à la police en prétendant être la victime d’une attaque raciale et homophobe.
La messe semble être dite pour Smollett. Beaucoup de ceux qui ont donné de la voix pour le soutenir après la nouvelle de son agression le lâchent. Certains, à l’instar de Nancy Pelosi, s’empressant de supprimer leurs tweets de soutien à l’acteur.
Et puis, le 26 mars, c’est le coup de théâtre: le bureau du procureur de Cook County décide d’abandonner toutes les charges contre Smollett, y voyant "une résolution satisfaisante de l’affaire". L’acteur s’en sort avec des heures de service communautaire et renonce à récupérer sa caution de 100.000 dollars. Son avocat crie victoire et pointe du doigt "la cour de l’opinion publique".
Du côté des enquêteurs, on crie au scandale. Le Chef de la police, Eddie Jonhson, et le maire de Chicago, Rahm Emanuel, furieux, exigent des excuses de la part de Smollett et la poursuite de l’affaire en justice, soulignant que les preuves sont accablantes.
Face au tollé et à l’incompréhension suscités par la libération inattendue de Smollett, le président Trump, fidèle à ses habitudes, poste un tweet matinal annonçant une nouvelle enquête sous la tutelle du FBI et du département de la Justice, qualifiant l’affaire "d’outrageuse" et "d’embarrassante" pour la nation.
De son côté, la procureur générale de Cook County, Kim Foxx, publie une tribune où elle déclare ne pas être opposée à une révision du dossier, tout en arguant que les preuves étaient insuffisantes pour pousser l’affaire plus loin.
Pour certains observateurs, Mme Foxx, qui dirige le deuxième plus important bureau du procureur du pays, à la tête de 800 procureurs et 1.500 employés, n’a en réalité fait que rester fidèle à ses promesses de campagne électorale. En effet, avant son élection en novembre 2016 à la tête du ministère public de l’Illinois, Mme Foxx s’était présentée comme une réformatrice, plaidant en faveur d’une réduction du nombre d’incarcérations inutiles eu égard à la surpopulation carcérale.
Pour ses soutiens, Mme Foxx a fait preuve de courage politique en restant attachée à ses principes au moment où cela était le plus difficile, à savoir quand le public américain, se sentant dupé, réclamait incessamment sa livre de chair pour un crime dont il est la victime ultime.
Source : MAP