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Langues et savoirs : un colloque entre puissance linguistique et diversité cognitive

08:04
Langues et savoirs : un colloque entre puissance linguistique et diversité cognitive

Le 27 et 28 novembre 2025, la Université Sultan Moulay Slimane de Beni Mellal a accueilli le colloque international Langues et savoirs : entre hégémonie linguistique et diversité cognitive. L’initiative, portée par la faculté des Lettres et des Sciences Humaines, le laboratoire L.R.A.L.L.A.R.C., l’association Eurêka et la Fondation Mohammed Bassir, a rassemblé 57 expert·es, chercheur·ses et doctorant·es issus de France, Belgique, Cameroun, Tunisie et Maroc. L’événement visait à interroger le lien entre langues dominantes, langues minorées, production de savoirs et cognition.

Interroger la hiérarchie des savoirs

Les communications ont mis en lumière comment certaines langues dites « dominantes » occupent une place structurante dans la production académique et médiatique. Par exemple, l’usage de l’anglais, du français ou de l’espagnol dans la publication scientifique exclut de facto un grand nombre de langues locales ou autochtones. Plusieurs intervenants ont souligné que cette dominance influence non seulement les pratiques de communication, mais aussi les cadres conceptuels. Cette « hégémonie linguistique » façonne la manière dont on pense, structure le réel et valide certaines formes de savoir au détriment d’autres.

À l’inverse, des exposés ont montré comment des langues minorées, notamment des dialectes, des langues vernaculaires et des langues autochtones, portent des visions du monde différentes. Ces langues filtrent le réel selon des logiques cognitives distinctes et préservent des modes de pensée et des connaissances spécifiques, souvent liées à la culture, à l’environnement ou à l’histoire locale.

Diversité cognitive, connaissance plurielle

Des communications scientifiques ont mis en lumière les apports des neurosciences et de la linguistique cognitive pour démontrer que plusieurs langues ne sont pas seulement des outils de communication, mais des vecteurs de cognition différenciée. Chaque langue structure le langage intérieur, influence la catégorisation des idées, façonne la mémoire, la perception, l’imaginaire.

Lors de débats sur l’éducation et la transmission, des doctorant·es ont évoqué la justice cognitive. Ils·elles ont plaidé pour un enseignement multilingue, capable de respecter et développer les langues d’origine des apprenant·es. L’idée : donner à chacun·e les moyens cognitifs de penser et apprendre dans sa langue maternelle ou vernaculaire. Plusieurs projets d’enseignement intégrant des langues minorées, y compris des variantes amazighes, ont été présentés.

Technologies, traduction et enjeux numériques

Le colloque a accordé une place importante aux défis contemporains : traduction, médiation culturelle et numérisation. Dans un contexte global marqué par la domination des grandes langues sur Internet, des intervenants ont alerté sur le risque suivant : sans efforts volontaires, la diversité linguistique pourrait s’effacer. Selon l’UNESCO, le monde compte plus de 7 000 langues parlées ou signées, mais seules quelques centaines sont utilisées comme langues d’enseignement ou dans les médias dominants.

Des projets récents montrent qu’il est possible de renverser la tendance. À l’échelle internationale, l’Décennie internationale des langues autochtones 2022‑2032 (IDIL) met en œuvre des politiques de revitalisation, soutien aux langues menacées, création de ressources éducatives et numériques, et promotion de l’éducation multilingue. 

Côté technologique, des intervenant·es ont mentionné des initiatives communautaires de numérisation des langues minorées. Ces projets s’appuient sur des plateformes collaboratives pour créer des corpus, des dictionnaires, des bases audio, des outils de traduction. Au Maroc et dans le monde arabe, ces expériences prennent aujourd’hui plus d’ampleur, offrant des ressources inédites pour valoriser des langues comme l’amazighe ou d’autres langues vernaculaires.

Vers un avenir plurilingue et inclusif

À l’issue du colloque, plusieurs pistes de collaboration ont été lancées :

- Observatoires des pratiques plurilingues, afin de documenter leur usage dans l’éducation, les médias, la culture.

- Analyses comparatives des politiques linguistiques nationales, en particulier dans des sociétés plurilingues comme le Maroc.

- Développement des humanités numériques : numérisation de textes en langues minorées, création de dictionnaires, archives audio et vidéo.

- Sensibilisation des décideurs à l’importance de la diversité cognitive dans les politiques éducatives.

Lors de la clôture, le coordinateur général du colloque a annoncé la publication prochaine des actes dans la revue scientifique dirigée par la Fondation Mohammed Bassir. Cette publication permettra de diffuser les résultats au-delà des cercles académiques et d’ouvrir des ponts vers les milieux éducatifs, culturels et institutionnels.

Un événement en résonance avec un contexte mondial

Ce colloque s’inscrit dans un contexte international marqué. En 2025, l’UNESCO célèbre le 25ᵉ anniversaire de la Journée internationale de la langue maternelle. Cet anniversaire rappelle l’urgence de préserver la diversité linguistique, essentielle à la dignité culturelle, à l’inclusion et au développement durable. 

Par ailleurs l’IDIL 2022-2032, adoptée par les Nations unies, mobilise États, institutions, sociétés civiles et communautés pour protéger les langues autochtones et traditionnelles. Elle invite à concevoir les langues non comme des obstacles, mais comme des ressources stratégiques pour la connaissance, la diversité cognitive et l’avenir collectif.

À l’ère de l’intelligence artificielle, la numérisation massive et l’uniformisation des contenus linguistiques constituent un défi. Des chercheurs alertent : si les technologies ne prennent pas en compte la diversité linguistique, elles risquent d’accélérer l’érosion des langues minorées. 

Pour le Maroc, pour le Maghreb, pour les sociétés plurilingues, ce colloque offre un cadre pour repenser l’éducation, la recherche, la culture. Il rappelle que le véritable progrès ne passe pas par l’uniformisation, mais par la reconnaissance et la valorisation des multiples manières d’être au monde.



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