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La Tunisie au bord d’une crise politique majeure
Au bout d’un marchandage haletant, de grandes manœuvres politiciennes et d’un suspense angoissant, Elyes Fakhfakh, chef de gouvernement désigné a dû à cinq jours de la date buttoir du 20 février, avouer que le processus qu’il a enclenché depuis 26 jours est arrivé à une voie sans issue.
Sans avouer être vaincu et après une longue concertation avec le président Kaïs Saïed, un suspense insoutenable, l’accentuation des pressions et des craintes, le chef de gouvernement désigné s’est donné samedi dernier encore un répit pour sauver ce qui peut l’être.
Il a annoncé sa décision de poursuivre ses concertations avec les partis politiques pour rechercher un difficile compromis et convaincre Ennahdha d’éviter d’enfoncer le pays dans une crise politique, économique et sociale dont les “conséquences seraient désastreuses et le prix très lourd”.
Un gouvernement dont la formation a rencontré, jusqu’à la dernière minute, un veto de la part d’Ennahdha (islamiste), vainqueur des législatives d’octobre 2019 (54 sièges au parlement), de “Qalb Tounes” (38 sièges) et la coalition El Karama (21 sièges) sans leur soutien, il trouvera immanquablement le même sort au parlement que le gouvernement de Habib Jemli.
Depuis mercredi dernier, les observateurs de la scène politique ont commencé à mesurer l’embarras d’Elyès Fakhfakh qui, à trop vouloir chercher à jouer la carte du président de la république et à manifester son penchant pour des formations politiques notamment “Attayar” de Mohamed Abbou (socio-démocrate disposant de 22 sièges) et du mouvement “Echaab” (nassérien avec 15 sièges) hostiles à Ennahdha, Elyes Fakhfakh se trouve subitement prisonnier de son propre jeu.
Pris sous l’étau du parti islamiste, qu’il a sous-estimé son influence et son poids, il a fini par payer cash son aventure. Si au cours des jours à venir, il ne parvient pas à trouver la voie lui permettant de sortir de ce bourbier, de regagner la confiance du parti islamiste, il risque dans le meilleur des cas d’être remercié et remplacé par une autre figure plus consensuelle.
Il risque, en même temps, de verser le pays dans le pire des scénarios, celui de la dissolution du parlement et de l’organisation d’élections anticipées, comme le prévoit l’article 89 de la Constitution tunisienne.
Fakhfakh a pris conscience, il est vrai tardivement, de l’impossibilité de poursuivre son entreprise, celle de former un gouvernement ayant un “souffle révolutionnaire” et se réclamant du président de la république. Il s’est aperçu qu’il n’a pas les clefs nécessaires lui permettant de passer outre sa volonté, son poids et sa détermination à le recadrer.
Selon les analystes, manifestement, dès le départ du processus, plusieurs erreurs fatales ont été commises redonnant à Ennahaha, pourtant gagné par le doute, force et détermination.
La première réside dans le choix d’un outsider, que les Tunisiens ont refusé, lors de la dernière présidentielle, de lui accorder leur confiance et dont le parti (Ettakattol) a pris une grande raclée lors des législatives d’octobre dernier.
La deuxième réside dans le fait qu’Elyes Fakfakh a choisi la mauvaise stratégie. Dans sa volonté de laminer Ennahdha, il a ouvert les vannes à des partis peu influents (Attayyar et Echaab), qui se sont illustrés par un discours appelant à lutter contre la corruption, n’hésitant pas à adresser les critiques les plus acerbes à Ennahdha tout en se déployant à chercher à marginaliser les trois partis les mieux classés dans les dernières législatives.
Enfin, en excluant d’entrée du jeu “Qalb Tounes”, pourtant la deuxième force politique au pays, il s’est pris dans son propre piège donnant l’occasion inespérée à Ennahdha d’imposer la loi et ses choix.
Se trouvant dans l’impasse, Elyes Fakhfakh n’a pas compris qu’au final que son projet est suspendu à la légitimité que lui donnera le parlement et Ennahdha. Le chef de gouvernement désigné à dès le départ sous-estimé la portée du message qui lui a été adressé par Ennahdha et ses avertissements successifs l’invitant à revoir sa copie en optant pour un gouvernement d’union nationale bénéficiant d’une majorité confortable et où ne figurent pas les formations qui ont choisi délibérément de s’inscrire dans l’opposition.
Toutes les manœuvres et les demi-solutions qu’il s’est évertué à concocter pour sauver sa face et surtout de ne pas faire machine arrière, se sont heurtées à un mur de refus.
A quelques heures seulement de l’annonce officielle de la formation du gouvernement, différée à deux reprises, il y avait une accélération des événements et de grands rebondissements, dont la décision irrévocable d’Ennadha de se retirer samedi du gouvernement et de ne pas lui accorder sa confiance.
Selon les mêmes sources, il s’agit d’une décision grave à travers laquelle Ennahdha a montré sa résolution à ne pas avaler la pilule et à ne pas se laisser guider par un chef de gouvernement qui refuse de se plier à ses exigences.
D’ailleurs, le ton a été donné dès l’annonce par le président du Conseil de la Choura d’Ennahdha, Abdelkarim Harouni, l’après-midi de samedi du retrait de son parti du gouvernement d’Elyes Fakhfakh et de ne pas lui accorder sa confiance.
L’impensable s’est produit et, malgré les promesses données à Ennahdha pour améliorer sa représentation au gouvernement, le mur de la confiance entre le mouvement et le chef de gouvernement a été brisée.
Il en est de même pour le président de “Qalb Tounes”, Nabil Karoui, qui a annoncé au cours de la même journée qu’il a décliné l’invitation du chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, estimant que sa formation n’est pas concernée par ce gouvernement et refuse le processus adopté pour sa formation.
Ces évolutions pour le moins dramatiques et surprenantes ont pris de court les dirigeants d’”Attayar” et d’”Echaab”, qui ont annoncé leur soutien au chef de gouvernement.
Le SG d’Attayar, Mohamed Abbou, a conseillé au chef du gouvernement désigné de remplacer les ministres d’Ennahdha par des indépendants avant de soumettre son gouvernement au vote du parlement.
Le secrétaire général du Mouvement “Echaâb”, Zouhair Maghzaoui, a fait savoir de son côté que “Nous comprenons les difficultés rencontrées par le chef du gouvernement désigné et avons observé le chantage qu’a voulu exercer sur lui Ennahdha”.
“Elyes Fakhfakh n’a pas cédé et Ennahdha prouve encore que le pouvoir est un butin pour lui”, déplore-t-il.
En annonçant samedi soir à la télévision avec un ton grave que “dans un souci de responsabilité, nous avons décidé, avec le chef de l’Etat d’utiliser les jours qui restent du délai constitutionnel alloué à la formation du gouvernement pour étudier les options constitutionnelles, juridiques et politiques”, Elyes Fakhfakh joue son avenir et surtout sa crédibilité”.
Dans tous les cas de figure, les analystes soutiennent que seul le président Saïed est à même de trouver une solution à la crise politique, dont la solution passe nécessairement par une concertation responsable et sérieuse avec les partis politiques qui doit prendre en ligne de compte leur poids et leur influence.
Cela est d’autant plus impérieux que l’organisation d’élections anticipées se présente comme une aventure dont les conséquences seraient désastreuses sur le plan politique, économique et social pour la Tunisie qui a souffert de quatre mois d’attentisme pesant, de concertations infructueuses et de manœuvres politiciennes stériles.
Source : MAP