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Everybody Loves Touda : Le chef-d'œuvre de Nabil Ayouch rend hommage aux chikhates et à leur lutte silencieuse

 Everybody Loves Touda : Le chef-d'œuvre de Nabil Ayouch rend hommage aux chikhates et à leur lutte silencieuse
Mercredi 11 Décembre 2024 - 15:57
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Le Megarama de Casablanca a accueilli en avant-première une œuvre cinématographique qui, bien au-delà de son aspect artistique, touche à des questions profondément sociales et culturelles. Everybody Loves Touda, le dernier film de Nabil Ayouch, dévoile un univers inconnu du grand public : celui des chikhates, ces femmes artistes de la scène musicale traditionnelle marocaine. À travers le personnage de Touda, interprétée magistralement par Nisrin Erradi, le film plonge le spectateur dans un récit intime et bouleversant, qui dépasse la simple exploration de la musique pour aborder des thématiques de société, de résilience et de liberté.

Dès les premières images, le film capte l’attention par sa mise en scène audacieuse. Dans une lumière tamisée, la voix de Touda résonne avec force, portant un cri du cœur qui fait écho aux luttes silencieuses de ces femmes méconnues. Le personnage de Touda, une mère célibataire avec un enfant sourd-muet, rêve de faire entendre sa voix, mais se heurte à une société qui la juge et la marginalise. Sa quête pour devenir une chikha reconnue, une grande figure de l’aïta, l’emmène des douars reculés du Maroc jusqu’aux cabarets de Casablanca. Là, son art devient une simple distraction pour des clients indifférents, mais Touda, soutenue par son amie Rkia (interprétée par Jalila Talemsi), persévère, portée par son amour de la musique et son désir de s’affranchir des conventions sociales.

Le rôle de Touda, interprété par Nisrin Erradi, est d’une intensité rare. À travers un travail de préparation méticuleux, l’actrice a su s’imprégner de l’univers des chikhates en écoutant leurs voix, en étudiant leurs gestes et en capturant le silence lourd de sens de ces femmes marginalisées. Sa performance ne se contente pas de reproduire une image, elle incarne l’âme même des chikhates, ces artistes qui défient les tabous d’une société patriarcale tout en étant célébrées en secret. L’héritage de l’aïta, une musique ancrée dans les traditions populaires, est magnifiquement rendu à l’écran, avec des scènes qui vibrent de passion et de douleur.

La direction de Nabil Ayouch se distingue par sa capacité à fusionner les aspects intimes et sociétaux de l’histoire. Chaque scène est minutieusement construite pour mettre en lumière les luttes intérieures de Touda, et les contrastes entre l’ombre et la lumière traduisent les doutes et la détermination du personnage. Le film interroge les stéréotypes qui entourent les chikhates, souvent perçues comme des figures de la déviance, mais qui, en réalité, incarnent un courage et une audace inouïs. La société, tout en les admirant, les condamne. Ayouch, fidèle à son style, utilise ce paradoxe pour dénoncer l’hypocrisie qui gangrène les rapports sociaux et la place des femmes dans la société marocaine.

La bande-son du film, en collaboration avec des maîtres de l’aïta, est un véritable personnage à part entière. Les morceaux de musique, à la fois traditionnels et contemporains, amplifient les émotions et permettent au spectateur de ressentir la douleur et l’espoir de Touda. L’une des scènes les plus poignantes reste celle où Touda, sans prononcer un mot, communique avec son fils sourd-muet. Ce moment, d’une intensité rare, démontre la puissance du silence, sublimée par une musique qui résonne comme l’expression de tout un monde intérieur.

Everybody Loves Touda n’est pas seulement un film, c’est un cri de résistance, une invitation à regarder les chikhates autrement, à comprendre leur rôle essentiel dans la culture marocaine et à reconnaître leur humanité. Ayouch parvient, une fois de plus, à fusionner le cinéma avec la réalité sociale, en offrant une œuvre lumineuse malgré les ombres qu’elle explore. En montrant la complexité de ces femmes, à la fois rejetées et vénérées, le réalisateur incite à repenser nos jugements et à embrasser la richesse de la diversité humaine.

Ce film marquera sans aucun doute l’histoire du cinéma marocain et international, offrant un éclairage inédit sur une facette méconnue de la culture et de la société du Maroc. La question demeure : Touda, enfin libre de ses chaînes, pourra-t-elle un jour chanter sans entrave ? 

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