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Tulkarem : les camps rasés, les réfugiés dispersés

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Tulkarem : les camps rasés, les réfugiés dispersés
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Les gravats remplacent les ruelles étroites, et les cris des enfants laissent place au grondement des bulldozers. À Tulkarem, en Cisjordanie occupée, les camps de réfugiés sont peu à peu effacés sous les coups de pelleteuses israéliennes, dans ce qui est présenté comme une opération militaire mais ressenti sur le terrain comme une tentative d’effacement identitaire.

Depuis janvier 2024, les camps de Tulkarem et Nour Chams sont le théâtre d'une offensive israélienne qualifiée par l’armée comme une "opération contre les foyers du terrorisme". Une opération qui s'inscrit dans un contexte d'escalade après la rupture de la trêve entre Israël et le Hamas à Gaza. Mais sur place, les habitants vivent une toute autre réalité : celle de l’exil forcé, des maisons détruites, et de la peur de voir disparaître à jamais leur statut de réfugiés.

Des familles dispersées, des souvenirs enterrés

Mercredi dernier, l’armée israélienne a donné quelques heures à des centaines d’habitants pour récupérer leurs effets personnels avant de démolir de nouveaux bâtiments. Sous haute surveillance militaire, les familles se sont précipitées pour sauver matelas, armoires, climatiseurs, et morceaux de vie. Une explosion a retenti : une maison de plus réduite à néant.

Parmi les déplacés, Abderrahmane Ajaj, 62 ans, n’a jamais revu sa maison détruite. « Avant, on fuyait quelques jours, puis on revenait. Cette fois, c’est comme si on n’existait plus », témoigne-t-il. Comme ses parents avant lui, qui avaient fui Netanya en 1948, il redoute aujourd’hui de perdre plus qu’un toit : le droit de revenir.

Destruction massive et urbanisation militaire

Depuis le début de l’opération, des centaines de bâtiments ont été rasés, créant de larges axes de circulation entre les décombres. L’objectif déclaré : faciliter les incursions militaires. Selon les Nations Unies, plus de 40 000 personnes ont été déplacées en Cisjordanie depuis janvier.

Mais au-delà de la stratégie militaire, un objectif politique plus profond semble se dessiner. « Il s'agit de faire disparaître la question des réfugiés, de diluer leur présence en transformant les camps en simples quartiers urbains », dénonce Souleymane al-Zouheiri, militant et habitant du camp de Nour Chams. Il parle d’un projet de "dépolitisation" des camps, qui menace directement le droit au retour des réfugiés palestiniens – un droit au cœur du conflit israélo-palestinien depuis 1948.

Une réponse judiciaire, mais jusqu’à quand ?

Jeudi dernier, la Cour suprême israélienne a temporairement suspendu un projet de démolition de 104 bâtiments à Tulkarem, à la suite d’un recours porté par une ONG. L’État a deux mois pour répondre. Mais sur le terrain, les transformations sont déjà visibles. Les rues tracées, les gravats entassés, les familles dispersées.

Omar Owfi, 66 ans, ne sait pas s’il reverra un jour sa maison. Il décrit la fuite, la séparation de sa famille, et l’attente angoissée d’une prochaine démolition. « On a tout perdu. Ils veulent effacer le camp, raser tout ce qui reste, ne laisser que des routes. »

Un avenir suspendu

À Tulkarem, ce ne sont pas seulement des bâtiments qu’on détruit. C’est une mémoire, un espoir de retour, une revendication politique profondément ancrée dans l’histoire palestinienne. Dans un climat de tensions extrêmes, où les politiques israéliennes d’annexion gagnent du terrain, la démolition des camps semble être une pièce de plus dans la stratégie de reconfiguration démographique et territoriale.

Et si les camps disparaissent, qu’adviendra-t-il de ceux qui y sont nés, de ceux qui y ont grandi en rêvant un jour de retour ? Pour beaucoup, la réponse se trouve déjà sous les gravats.

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