Blanchiment d’argent : un réseau sophistiqué démantelé aux abords de Casablanca

Une enquête d’envergure menée par l’Autorité nationale des renseignements financiers (ANRF) révèle les rouages d’un vaste réseau de blanchiment d’argent opérant depuis la périphérie de la capitale économique du Maroc. À travers des entreprises fictives et des opérations bancaires soigneusement orchestrées, les instigateurs de ce système auraient recyclé d’importants flux financiers issus notamment du trafic de drogue.

Tout commence par des mouvements bancaires atypiques détectés dans deux agences d’un grand groupe bancaire. Dépôts et retraits répétés, souvent via chèques et traites, attisent la curiosité des responsables. Le volume d’opérations enregistré, bien supérieur à l’activité réelle des petites structures impliquées, ne colle pas avec la conjoncture économique actuelle.

Derrière cette anomalie, l’ANRF découvre un dispositif bien structuré : des entreprises enregistrées en bonne et due forme, des bilans rigoureusement établis, et des déclarations fiscales à jour. En apparence, tout est conforme. En réalité, un réseau de sociétés liées entre elles simule des transactions commerciales pour générer artificiellement des bénéfices et les rendre "propres" en payant les impôts correspondants. Ce procédé, bien que rare, a échappé aux radars classiques, qui se concentrent généralement sur les entreprises sous-déclarant leurs revenus.

Des ramifications dans le trafic de drogue et l’immobilier

Au fil des investigations, l’affaire prend une tournure plus grave. Des sources proches du dossier pointent une implication possible de réseaux de trafic de drogue. L’argent issu de ce commerce illicite aurait été injecté dans ces sociétés écrans, puis blanchi grâce à un enchaînement de fausses transactions.

Une partie de ces fonds aurait ensuite été réinvestie dans l’immobilier, un secteur prisé pour sa capacité d’absorption. Les enquêteurs évoquent l’achat massif de terrains, d’immeubles résidentiels et commerciaux, ainsi que de biens de luxe comme des véhicules haut de gamme, dissimulant ainsi l’origine douteuse des fonds derrière des activités économiques apparemment légitimes : commerce, distribution, BTP.

Complicités internes et angle mort fiscal

L’affaire révèle aussi la complicité présumée de comptables et de professionnels bancaires. Certains auraient conçu des montages comptables sur mesure, assez crédibles pour ne pas attirer l’attention, mais suffisamment opaques pour masquer la réalité des flux financiers.

Le rapport annuel 2023 de l’ANRF confirme cette tendance inquiétante. Il fait état de 71 dossiers transmis à la justice pour des faits de blanchiment d’argent et financement du terrorisme, principalement dans les grandes métropoles comme Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech. Le rapport note aussi une hausse de plus de 31 % des dossiers traités en un an, preuve de l’ampleur croissante du phénomène.

Les formes les plus courantes de blanchiment évoquées incluent les faux documents bancaires, les escroqueries, mais aussi des méthodes plus modernes comme les cryptomonnaies, les paris sportifs ou les ventes pyramidales.

Vers un renforcement des mécanismes de contrôle

Face à la complexité de ces schémas de fraude, les autorités s’emploient à renforcer les dispositifs de surveillance, notamment en comblant les angles morts du système fiscal. L’ANRF appelle à une coordination accrue entre les institutions bancaires, fiscales et judiciaires pour déjouer ce type de criminalité financière, qui menace non seulement l’économie formelle, mais aussi la crédibilité des institutions.

Ce dossier illustre les défis croissants auxquels le Maroc fait face en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Derrière des façades d’entreprises irréprochables, des réseaux organisés exploitent les failles du système pour faire transiter et recycler des fonds illicites. L’enjeu désormais est de renforcer la vigilance, la coopération interinstitutionnelle et l’adaptabilité des outils d’investigation.